Il est des fois où la conscience se perd parmi dix milles voix et ne sait plus quel chemin suivre. Le maître ne se présente pas à nous et la conscience ne trouve pas ce support qui la sort de ses habitudes confortables mais illusoires. Dans ces conditions, il y a toujours ce passage existant qui nous mène à ce point géographique qu’est la vision profonde. C’est le sentier du vent.
Le passeur qui se présente à nous sur ce sentier n’est autre que notre propre respiration. Tel un vent elle vient chasser les nuages de pensées qui, venus se cumuler, ont formé le voile qui cache notre soleil intérieur. L’air de notre vue devient plus frais et l’esprit redevient spacieux.
Pour suivre ce vent qui va nous faire traverser ce chantier, deux conditions requises : considérer sa respiration, déconsidérer le reste. Notons que ce n’est qu’un chemin et qu’au bout une autre forme de considération pour le monde se fera connaître. Ne restons pas donc, une fois ce chemin parcouru, sur les bords de ce sentier. Franchissons le dernier cap pour passer la porte de la vision profonde. Sinon, hormis le calme, il n’y aurait qu’un déni de ce qui est, et une grande souffrance quand les yeux s’ouvrent à nouveau sur le quotidien.
Commençons par considérer la respiration. En la laissant aller d’elle-même, lui permettant de se mouvoir sans chercher à la contrôler, juste compter les inspirations et les expirations. La pensée prend pour seul objet ce point mouvant. Pour compter, la somme d’une inspiration additionnée à une expiration est égale à un. Un cycle est égale à vingt et un. Le sentier possède mille marches, soit mille cycles de vingt et une inspiration et expiration. Selon la motivation de chacun, la liberté persiste de pouvoir emprunter le chantier et d’en parcourir une petite partie sans le terminer. Nous pouvons par exemple se contenter d’un seul cycle, de vingt et un cycles, ou du nombre qui convient, bien qu’il vaille vraiment le coup d’être parcouru jusqu’à son apogée. Pour compter, lors de la première inspiration/expiration on se dit intérieurement « une, une ». Puis « une, deux » lors de la deuxième inspiration/expiration. Puis « une, vingt et une » lors de la dernière inspiration/expiration du premier cycle. Puis lors de la première inspiration/expiration du deuxième cycle nous disons intérieurement « deux, une ». Le premier décompte est pour le cycle, le second pour l’inspiration/expiration.
Ensuite, déconsidérons ce qui se présente et qui est autre que la respiration. Il est très rare que les nuages partent immédiatement. Laissons les simplement passer sans les observer. Quelque soit la pensée qui se présente à l’intérieur, une urgence que nous avons oublié de régler, un problème d’argent, une dispute, la culpabilisation, une douleur physique, notre prochain repas, faire le bien, et quelque soit se qui se présente à l’extérieur, une personne qui crie, un moustique qui s’intéresse un peu trop à nous, une personne qui remarque vos défauts, laissons tout ça de côté. Nous les laisserons de côté bien qu’à notre insu ces pensées apparaîtrons. Remarquons qu’elles représentent juste la force de nos habitudes, et que la nouvelle attitude qui consiste à concentrer l’esprit sur la respiration va amener un changement. Plus cela est difficile à faire, plus vous somnolez, plus il y a des pensées, d’émotions, plus vous pouvez considérer que ces habitudes viennent de loin. Alors dans ce cas vous pouvez augmenter la motivation à parcourir le sentier, et aussi fort et durable paraissent les obstacles qui se présentent, en persévérant ils vont simplement s’épuiser et disparaître.
A tout moment, assis, dans la posture en sept points utilisée en méditation, en marchant, allongé, en conduisant, peu importe, le sentier sera parcouru dans toutes les positions.
Bientôt il ne restera plus que la respiration, et quand l’esprit cessera de s’attacher à la respiration, rien d’autre que la paix. Les pensées que composaient la chute d’eau et faisaient un bruit de fracas deviennent un cours d’eau au son doux, puis un lac dont le bruit est le silence. Par la suite, chaque vague qui se présente à la surface du lac, aussi grande est agitée soit elle, n’est que silence car elle est intégrée au lac lui-même. Les nuages qui se présentent en fin de sentier ne cachent plus le ciel, ils sont le ciel.
C’est comme ça que l’on déshabille l’esprit de ses pensées, et qu’on le découvre nu, tel qu’il est réellement.